any last advice ? stay alive.if we burn, you burn with us.
On pourrait l'appeler Aria. Aria. Aria. Ça sonnait bien, ça Aria. Le vieil homme se gratta le crâne de ses doigts noircis par le travail à la mine. Il réfléchissait. Le vieux Ed ne savait pas beaucoup de chose, à peine lire et écrire son nom. Il cherchait dans sa mémoire toutes les choses qu'il avait connues.
Aria. Comme le fil d'Ariane, mais sans le
ne. C'était bien. C'était joli. Il n'était jamais allé à l'école, le vieux Ed, mais pour cet enfant, il avait cherché dans son peu de connaissances. Un joli nom. Le vieil Ed, il pensait que cet enfant déposé sur le pas de sa porte, c'était un cadeau de dieu. Cadeau venu d'on ne sait où, cadeau du ciel ou de la terre. Aria, Aria. C'est doux comme le murmure du vent, le murmure de la pluie.
Je m'appelle Aria. Aria, comme le fil d'Ariane, mais sans le ne.Aria, mon cœur, viens m'aider à vider le lapin. Elle avait toujours admiré la force farouche qui se lisait dans ses yeux bleu délavé. C'était quelque chose dans sa manière de toujours sourire, dans sa manière de régler les conflits de sa voix douce et rauque. Elle aimerait pouvoir lui ressembler un jour.
Aria ? Il avait des rides au coin des yeux et les cheveux poivre-sel. Ses mains commençaient à trembler. Elle étaient toujours caleuse et noircies par la poussière de charbon, mais tellement apaisantes. Aria descendit du lit, sur lequel elle jouait avec une poupée de chiffon.
Mais j'aime pas faire ça. Elle fit la moue de sa petite bouche d'enfant, fronçant les sourcils.
Ils sont trop mignons. Le vieux Ed eut un sourire attendri, et posa une main protectrice sur sa tête. Il fallait qu'elle apprenne la vie, qu'elle apprenne à survivre dans un monde injuste.
Il faudra que tu sache le faire, pour quand j'serai plus là. Aria entoura la taille du vieux Ed de ses petits bras maigres.
J't'aime, j'ai pas envie que tu t'en aille. Il lui avait souri doucement, avec ses fossettes au coin des yeux et ses orbes bleus.
Souvenir enfoui d'une époque révolue.
Le vieux Ed est parti. Il est parti pour toujours, rejoindre le ciel, rejoindre la terre, comme il l'avait toujours voulu. Aria avait pleuré, quand il était parti. Elle était pas vieille, du haut de ses six ans, et elle comprenait pas trop c'était quoi, la mort. Elle pensait le revoir un jour. Et quand elle avait compris, ce fut en elle quelque chose qui se broya. Une cavité dans sa poitrine qui s'emplissait de vide et de froid, la chaleur qui désertait. Tout n'était plus que blanc, dans sa tête et dans son cœur.
Il l'avait élevée comme sa fille. Homme de peu, homme de rien, il avait tout partagé avec elle, cet enfant tombé du ciel dans la nuit fauve.
❉ ❉ ❉
Elle a toujours détesté le foyer. Elle s'y sentait délaissée, perdue dans la masse d'enfants braillards et puants. Le vieux Ed lui manquait, comme une part de son être, comme un trou dans sa poitrine. Elle passait ses journées assise sur la barrière éculée autour du foyer plein à craquer. Ses pieds tapaient sur le bois pourri, décrochant quelques morceaux de peinture écaillée. Et elle passait ses journées là, à regarder la veine s'activer. Parfois, elle allait à l'école. Parfois, elle vendait des bouquets de fleur dans le centre-ville.
Ses pieds nus tapaient sur la barrière éculée. Elle était assise en équilibre sur les vieilles planches de bois qui bordaient le foyer. Ses cheveux noirs emmêlés par le vent se fondaient dans le paysage gris. La pluie était grise. La ville était grise. Le ciel était gris. Son visage était gris. Elle retira le morceau de peinture écaillée qui s'était fiché dans sa main en fronçant les sourcils. Ses pieds tapèrent à nouveau sur la barrière, faisant tomber un morceau de bois pourri qui fut immédiatement emporté par le vent. La gamine regardait pensive le vent glacial qui pliaient les arbres dans la forêt, au loin. L'odeur de pluie qui persistait était entêtante. Elle croqua l'un des gâteau secs qu'elle avait volé dans la matinée. Puis il était venu s'assoir à côté d'elle, et il était devenu tout pour elle. Le garçon s'était assis sur la barrière branlante, faisant vaciller Aria et son équilibre précaire. Il avait les yeux bleus comme le ciel, des boucles brunes et un sourire moqueur. Il sentait le soleil. Ils regardaient silencieusement la forêt agitée par le vent glacé. Il faisait souvent froid, dans la veine. Il neigeait même, parfois.
Moi c'est Melchior. Aria avait levé les yeux de son livre. Un vieux livre, trouvé dans le grenier, qui sentait la poussière. Elle avait eu sa moue dédaigneuse d'enfant méprisante.
C'est affreux. Aria. Il l'avait toisée de ses yeux bleus et de son rictus amusé.
C'est moche aussi.Ils étaient toujours assis au même endroit. Mais cette fois-ci, il faisait beau. Un soleil timide réchauffait la peau d'Aria.
J'aimerais bien voir ce qu'il y a de l'autre côté. Pas toi ? Il avait juste haussé les épaules. Elle aurait aimé savoir, ce qu'il se passait de l'autre côté de la forêt. Elle aurait voulu savoir beaucoup de chose, cette gamine. Aria était comme ça, avec son esprit profondément rêveur. Qu'est-ce qu'elle cache, la forêt ? Et il y a quoi, après les barrières du district ? Mais à ses milliers de questions, la maitresse répondait toujours par
c'est comme ça, c'est tout. Aria ne comprenait pas pourquoi le Capitole s'évertuait chaque année à envoyer deux enfants à la mort. Elle savait ce que c'était la mort, pour sûr. Le vieux Ed était mort. Et tout le temps on voyait dans les rues des gens morts de faim, de froid ou de maladie. Alors même si elle ne comprenait pas vraiment le fonctionnement des Jeux, elle savait bien qu'être choisi était synonyme de mort. Elle ne savait des Jeux que ce qu'on lui apprenait à l'école, mais tout était encore trop nébuleux dans sa tête d'enfant candide.
Allez viens, on rentre. Elle hocha la tête, mais ne descendit pas de la barrière. Rêveuse, elle contempla la forêt une dernière fois, plissant les yeux pour essayer de peut-être distinguer quelque chose derrière les feuillages. Puis elle sauta de la barrière, et suivit Melchior. Un jour, je saurai ce qu'il y a de l'autre côté. Avec son sourire d'enfant qui ne comprenait pas tout, elle essaya de démêler ses cheveux noirs avec ses doigts tout luttant contre le vent mordant. Un jour, elle verrait ce que cachait la forêt.
❉ ❉ ❉
Elle poussa la porte de l'entrepôt désaffecté, et s'y réfugia rapidement pour fuir le déluge. La poussière de charbon recouvrait les murs, et la lumière s'y engouffrait par les trous dans la toiture. Et là, assis sur une caisse, la silhouette de Melchior. Elle s'assit à côté de lui, replaça une mèche de jais derrière son oreille, et lui tendit un paquet de cigarette. Elle avait le sourire malicieux, le regard fier. Melchior la jaugea un instant, et prit le paquet avec un sourire en coin.
Tu te mets à voler maintenant ? La brune fronça les sourcils, et lui lança un regard haineux.
J'l'ai pas volé. Melchior rit un peu, et haussa les épaules. Il n'y croyait pas, et il avait raison. Elle l'avait volé en venant chercher la lessive à faire chez un riche particulier. Mais il s'en fichait, Melchior, parce qu'il fumait mais il avait pas les moyens de se payer des clopes.
Tu devrais aller à l'école, plutôt, Aria. Elle tiqua à l'entente de ce nom. Aria, ça rappelait le vieux Ed. Et ce nom restait encore une plaie béante dans son cœur.
Selyse. Melchior haussa les épaules. C'était pareil pour lui. Selyse ou Aria, elle restait la brune du foyer qui volait des clopes et des biscuits. Et qui n'allait plus à l'école. A seize ans, Selyse aurait aimé terminer sa scolarité. Mais c'était devenu impossible pour elle de supporter le foyer et ses mômes bruyants, et être réduite à l'état de machine à laver était le seul moyen pour elle de manger.
Mais je m'entraine quand même. J'écris des poèmes. La poésie, son échappatoire. Une escapade hors du temps et de l'espace, hors de son monde limité par des barrières. Le seul moyen de s'enfuir quelques heures. Selyse prit une cigarette dans le paquet, et Melchior l'alluma. Elle respira une bouffée toxique.
Gamine ? Oui ? Tu crapote.❉ ❉ ❉
Melchior s'était toujours battu pour la justice. Il s'était toujours battu contre les règles juste pour le plaisir de les contredire. Elle l'avait toujours admiré pour ça, elle l'avait suivi et rêvait d'être comme lui. Pourtant Selyse n'arrivait pas bien à réaliser que c'était lui, étendu sur la place publique, inerte. Ses yeux bleus étaient vitreux. Ses boucles brunes étaient étalées dans la poussière. Son sourire malicieux s'était évanoui. Une tâche rouge sombre s'étendait autour de son crâne. Il était parti, lui aussi. L'exécution avait été rapide, sans faire de vague. Quand Selyse avait été prévenue, la place se vidait déjà, et le corps était là, étendu dans la poussière. Mort. Parti pour toujours, Melchior et son sourire taquin, Melchior qui grimpait sur le toit des entrepôts pour sentir le vent sur son visage, Melchior qui riait toujours trop fort. Des larmes perlèrent à ses yeux. Elle ne savait même pas pourquoi il était mort. Les larmes glissèrent de ses yeux clos, tombèrent du bout de son nez sur le visage de Melchior. Selyse ferma les paupières du brun. Il avait l'air paisible. Elle glissa sa main fragile dans la main caleuse de Melchior. Son corps était agité de sanglots, sa gorge était serrée, elle se sentait étouffer. C'était son monde qui s'écroulait. Le peu de bonheur qu'elle avait qui s'effritait. Une main se posa sur son épaule.
Faut pas rester là, gamine. Elle aurait voulu répliquer qu'elle avait vingt-deux ans, que c'était plus une gamine. C'était comme ça qu'il l'appelait. Gamine. Selyse lâcha avec regret la main de Melchior. Imprima une dernière fois son image sur sa rétine. Et elle fit lâchement demi-tour, s'éloignant de la place, des pacificateurs. De la fausse justice. Elle essuya ses yeux de ses paumes, en se promettant de le venger, de devenir comme lui, de lui rendre la justice qu'il méritait dans ce monde d'horreur.