“ Moi j'ai beau essayer de te rassurer
De te promettre qu'il faut pas que tu t'en fasses
Tu me répètes 'on sait jamais'

Je suis partie. Je sais pas vraiment ce qui m'a pris, d'habitude je m'éloigne jamais de la maison. Au mieux je vais voir Maddox, au pire je me glisse derrière un de mes frères pour aller jusqu'en centre ville. Je déteste être seule dehors, surtout depuis que la nouvelle de ma grossesse s'est répandue en ville. Je sais pas même pas comment ça s'est fait. Peu importe, quand je l'ai réalisé c'était déjà bien trop tard. J'ai vu la traînée de poudre dans les yeux de chacun passants sur le chemin entre la maison et chez mes parents. Entre la maison et le centre. Enfin, entre la maison de Vaako chez mes parents. Parce que j'ai beau regarder partout, je ne vois de foyer nulle part. C'est pour ça que je suis sortie. Toute seule. Sans trop vraiment savoir où aller. Qu'est-ce que je pouvais bien faire de toute façon ? Je n'ai nulle part où aller, personne qui m'attend. La fraicheur de la Plaque me fait bien trop peur. Les quartiers Nord sont bien trop loin pour que je puisse m'y rendre à pieds d'une traite. Je n'approcherais de la forêt pour rien au monde. Je serais même incapable de passer la grille sans me faire mal. Mais il fallait que je sorte. Il fallait que je vois. N'importe quoi, n'importe qui pourvu que les murs cessent de me fixer. Partout où mes yeux se posent je ne vois que Vaako. Ses affaires, ses quelques meubles, ses efforts en lambeaux dans les restes de notre repas d'hier soir. Je n'ose toucher à rien et finis toujours par ranger mes affaires déjà soigneusement pliées dans un coin. Je finis toujours par échouer sur le bord de la fenêtre à me demander pourquoi il veut encore de moi. Pourquoi il me met pas dehors lui aussi. Pourquoi je ne peux rien faire d'autre.
Pourquoi.

Il fait nuit lorsque je me décide enfin à rentrer de ma "balade", à croire que j'ai oublié de regarder le temps passer. D'habitude je compte les minutes jusqu'à l'arrivée de mon meilleur ami. Je suis même perchée sur le rebord de la fenêtre, prête à bondir en entendant son pas fatigué approcher lentement. Il m'arrache un sourire chaque soir. Soulagée qu'il soit encore là. Soulagée qu'il soit en bonne santé. Soulagée aussi qu'il ne m'ait pas abandonnée. J'accélère le pas, les mains vissées au fond de mes poches. Je suis sûre qu'il ne va pas tarder à rentrer et je n'ai pas envie de me justifier. Pas envie de voir ses pupilles rongées par la colère et peut-être par la peur aussi. Pourtant lorsque j'arrive devant la porte je vois qu'elle n'est pas entièrement fermée. Il est déjà là. Je me glisse sans bruit à l'intérieur de l'unique pièce que constitue son logement. Il est assis dans le noir. Lui aussi est un peu noir. À moins que ce soit lui qui rendent la pièce un peu plus sombre, toujours noirci de ses journées sous terre. Il ne bouge pas en m'entendant. Peut-être que c'est ce que je mérite pour lui causer autant de tourments. Je m'approche doucement, je manque de trébucher sur mon propre pied. Je n'aime pas le noir. Pas tant parce qu'il me fait peur. Plutôt parce qu'il me rend triste. Tout est déjà assez sombre comme ça, pourquoi la nuit continue de nous accabler ? Lentement, je me glisse devant Vaako, presque immobile. « Désolée, je.. j'étais sortie. » Je me mords l'intérieur de la joue, incapable de faire une phrase complète pour me justifier. Nerveusement, je fais glisser une mèche entre mes doigts. Pourquoi tu réponds pas tout de suite Vaako ? Pourquoi tu bouges pas ? Je voudrais bien lui dire, mais je veux pas rajouter de rides entre ses sourcils. Il a l'air tellement plus âgé comme ça, dans le noir, quand son sourire se cache derrière l'écran de ses pensées. Je voudrais lui dire qu'il fallait que je respire, que je peux pas attendre sans rien faire. Que j'ai besoin de voir que des gens vivent encore, que certains n'ont pas oublié comment on fait pour sourire. Que j'en ai besoin, parce que moi aussi je commence à oublier comment on fait. C'est tellement égoïste que ça me fait baisser les yeux un instant. Comme pour me rattraper de penser ces choses alors qu'il est en train de noircir à petit feu pour moi, je pose ma main sur son épaule et m'approche encore un peu. Si près que je peux compter les soucis au fond de ses jolis yeux. « Tu m'en veux pas ? » Ma voix ne porte pas. Un peu cassée, un peu abimée, mais qu'importe, il m'entend quand même. Je crois déjà deviner la réponse à cette question qui au fond n'en est pas vraiment une. Juste pour me rassurer. Juste pour l'entendre balayer mes frayeurs. Juste pour écouter le son de sa voix parce que je ne peux pas vraiment distinguer son attitude dans la pénombre. Oh, Vaako pourquoi faut-il que tu deviennes si noir à cause de moi ? Encore un peu et je te ferais disparaître dans la nuit. Encore un peu et ça sera toi la nuit, prête à s'évanouir à chaque lever du jour. Prête à mourir pour le soleil.