"Don't you know they're talkin' bout a revolution. It sounds like a whisper. While they're standing in the welfare lines, crying at the doorsteps of those armies of salvation, wasting time in the unemployment lines, sitting around waiting for a promotion, Poor people gonna rise up and take what's theirs."

J'ai eu de la chance dans mon malheur. Bien plus que la plupart des gens du District douze. Et chaque jour je voyais leur souffrance et leur peine sans rien remarquer, sans rien comprendre. J'étais une petite poupée entre les mains d'une mère enfantine et toujours souriante. Mon père était un pacificateur acharné et un peu sadique. Je me suis toujours demandé ce qu'une personne aussi délicate que ma tendre mère faisait avec un type comme lui. Froid, distant, au coeur de pierre et aux paroles amères violentes et meurtrières. C'est un sale type. Comme on en voit rarement. Il aime les punitions publiques et se délecte des morts dans l'arène alors que j'arrive à peine à regarder. Notre mère nous protégeait tous les trois de ses foudres et de ses idéaux sanglants. J'étais aveugle à tout ça et j'avançais dans ce monde idyllique élaboré avec grand soin. Je crois qu'elle le faisait pour notre bien, pensant qu'elle serait toujours là pour nous préserver. Elle avait tort. Cette cage dorée dans laquelle elle nous asphyxiait à éclaté le jour même où elle a disparu, terrassée par un fièvre foudroyante et inexplicable. A partir de là, mon univers à voler en éclat et tous les efforts de mon grand frère pour nous protéger moi et notre cadette étaient vains. La gamine rondouilette et couverte de ruban que j'étais n'a pas fait long feu sous les critiques acerbes de ce géniteur exigeant. Tous les trois, nous sommes devenus des athlètes d'abord puis des soldats, entrainés à tuer sans aucune pitié. Il épargnait notre petite sœur qui ressemblait tant à notre mère avec sa blondeur de fée et ses yeux bleus océans. Et je lui en voulais, je lui en voulais d'être belle, d'être l'image de ma maman alors qu'il me considérait comme une moins que rien. J'étais une fille et j'étais hideuse. Pour mon père, ça faisait déjà trop de défauts. Avec acharnement, il nous a modelé à son image, du moins le voulait-il. Secrètement, il rêvait de nous voir dans l'arène.

Il était si heureux quand Eachann a été choisi comme tribut.

Et moi, je ne pouvais empêcher les larmes de couler. Je ne pouvais que rester là, les bras ballant, jusqu'à ce qu'il m'enlace. Il me répétait de ne pas écouter ce qu'il disait. Il me répétait d'ouvrir les yeux. De grandir. De grandir pour protéger Lux. Il m'a promis de se battre comme un lion. Il a tenu sa promesse. Mais ce n'était pas suffisant. Ce n'est jamais suffisant. Cette année-là, le District douze a presque eu un gagnant. Il était tant aimé du Capitole qui j'y ai cru. J'y ai cru jusqu'à voir sa gorge tranchée et le prénom de ma petite soeur mourir sur ses lèvres. C'est là que j'ai compris. Ouvrir les yeux. Ouvrir les yeux et grandir. Arrêter de croire que tout ça avait un sens parce que ça n'en avait aucun. Arrêter de croire que les choses s'arrangeraient parce que c'était vain. Et puis fermer les yeux. Fermer les yeux sur les transgressions que je voyais, sur la rébellion qui grondait. Je suis devenue une pacificatrice. Ne vous méprenez pas, je fais mon job. Et j'ai bien trop peur pour me dresser contre le système. Et puis il y a Lux. Il faut à tout prix que je la protège. Et pendant des années, j'ai vécu pour elle en mentant. En répétant sans cesse que le Capitole était grandiose et que les Hunger Games avaient fait de mon frère un héro, même s'il n'en était pas revenu.

Et puis j'ai croisé son regard. La grand Place était presque vide, le soleil allait se coucher. Je me souviens m'être retournée au chant d'un oiseau. Et il était là. Je n'ai même pas pu esquisser un sourire ou un geste, pétrifiée, j'ai détourné le regard. Je ne pouvais pas croire aux comtes que je lis en cachette à mon petite soeur. L'amour ça n'existe pas, pas ici, pas dans ce monde affreux et sans pitié. Pourtant, il m'a suffit d'un regard pour savoir que jamais je ne pourrais fermer les yeux sans penser à lui. Il avait le regard si dur, si fort et cette attitude d'homme qui refuse de s'avouer vaincu. J'en avais le souffle couper et le chemin du retour n'a pas suffit à me remettre le coeur en route.

Nous nous sommes revus. Je lui ai souris. Je savais qui il était à présent. Je savais que je jouais avec le feu. Pourtant, étonnement, c'était bien plus facile de mentir dans ce sens-là. C'était comme naturel de prétendre n'avoir rien à faire avec les Pacificateurs même si chaque jour, je revêts l'uniforme blanc. Je l'aime. C'est stupide... Quel avenir avons-nous. A quelle romance pathétique puis-je croire sur cette terre sanguinolente ? Les Districts pleurent, le Capitole ripaille des tripes des tributs et moi j'aime, j'aime quitte à faire des erreurs fatales. J'aime, même si je sais que ça n'a pas de sens et que tôt ou tard, cette vie m'arrachera cette raison de vivre. J'aime alors que dans son coeur, seule la révolte brûle assez vivement pour l'animer.