Nous sommes à présent en plein hiver, plus aucune vivre ne nous reste sous la main à la maison. C'est pour cela que je reviens de la Plaque ; le plus dur est d'en sortir, de ne pas y être vu, ou du moins ne pas de faire reconnaître, c'est pour cela qu'à chaque fois je m'emmaillote dans une grande et épaisse écharpe de laine mi-blanche mi-marron, une écharpe qui gratte. Je viens et repars d'un pas toujours aussi vif, je zigzag entre les maisons, fais quelques détours pour enfin pouvoir me concentrer chez moi. Un espace fait de bois, l'unique toit pouvant m'abriter sous ce froid paralysant le district douze. J'arrive sur le seuil de la porte, et je manque de glisser sur une plaque de verglas, mais je réussis à me rééquilibrer au dernier instant. Je regarde derrière moi, à gauche, à droite et décide au final de pousser la fine porte en bois. Je pousse un soupire et referme la porte après mon passage, il y avait ma mère, mon père, mais Raphaël mon frère, et Esther ma petite sœur manquaient à l'appel; uniquement mes parents sont réunis autour de la table, je les passais un par un au regard, un regard douteux cherchant une réponse, mais rien ne fut dit tant que je n'avais pas ôté la grande écharpe qui couvrait la majeur partie de mon visage et mon long manteau. Aucune chaise n'était libre, je pris donc place en face d'eux, c'est en m'appuyant sur la table que je me mis alors à regarder Mme Jensen avec insistance, elle prit enfin la parole:
Apolline, je ne veux plus que tu ailles à la Plaque, c'est devenu bien trop dangereux et ce encore plus pour une jeune femme. Ton frère risque déjà gros pour nous nous nourrir, alors je ne veux pas risquer de te perdre toi en plus. Est-ce que j'ai été clair?
Je regarde une première fois mon père, son regard était innocent, Mr Jensen est invalide au travail comme à n'importe quelle activité, rien que le fait de traverser les quelques mètres de diamètre de la maison l'épuise, ce sera bientôt, le début du commencement de la fin pour les Jensen ; c'est alors que je revins à la réalité et je rejoins le regard de Clarisse, elle avait un regard insistant. Clarisse, ça fait tout drôle de l'appeler par son prénom. Les seuls mots bannis ou plutôt inexistant de mon vocabulaire son "Clarisse et maman", ce depuis l'invalidité de papa. J'ai donc recroisé le regard insistant et dérangeant de Mme Jensen. Je n'avais aucune envie de lui obéir à elle, je ne bronche jamais devant un ordre ou un conseil, mais venant d'elle, c'est au dessus de mes forces, je ne peux plus, du moins, je ne veux plus lui obéir. J'ai donc recroisé une seconde fois le regard de papa, pour lui, pour lui faire plaisir, j'ai alors répondu à contre coeur: -Oui
J'ai même pu entrapercevoir un léger sourire en coin de père, mon coeur s'est alors réchauffé à l'inverse de dehors, il n'a jamais fait aussi froid dans la pièce. Je me lève donc, va chercher mon manteau et le pose avec soin sur les épaules trapues de papa.

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Ma famille a réussi à éviter le calvaire de la mine durant trois générations, grand-père Melvin avait eu un accident qui lui fit perdre sa jambe gauche à 18 ans, le rendant donc inapte au travail à la mine; papa lui, a un problème cardiovasculaire le rendant de même en impossibilité de travail. En ce qui concerne Raphaël, je n'ai aucune idée de comment il s'en est sorti pour éviter la corvée de charbon. C'est son secret, que j'essaye parfois de percer, mais rien à faire, cet homme est vraiment un grand mystérieux. A vrai dire, tout le monde est mystérieux chez les Jensen, chacun garde sa part de secret pour soi. Pour ma part, je ne pourrais m'expliquer du pourquoi du comment j'ai délaissé et presque oublié toutes les personnes que je fréquentais durant ma scolarité. Les seuls contacts humains que je garde sont avec les Jensen, à la Plaque et à la librairie. Je reste pour moi-même un sacré mystère à comprendre. Ma part de mystère se compte aussi dans le fait que je ne peux me séparer de mes dizaines et dizaines de feuilles volantes, rattachées à un fil me servant tout simplement de journal intime. Dans l'avenir j'aimerais que mon autobiographie au district douze se fasse connaître pour que le Capitole, que je connais malheureusement si peut, puisse constater et compatir de l'emprisonnement quotidien et de l’oppression que nous vivons chaque jour.