“ NIKOLAJ && FLEUR „

Fleur détestait le district douze. Elle détestait cette ambiance déprimante, l'air pollué et noirci par le charbon, la mine et les chasseurs. Océan avait voulu chasser lui aussi, et le jeune Rosati avait fini par se faire tuer. Le chasseur chassé. Tout ça parce qu'ils n'ont pas tenu leur promesse. Océan avait d'autres amis chasseurs, ils étaient comme des loups et partaient chercher leur proies en meute. Fleur se rappela de Nikolaj. Il était bien plus vieux que Océan, mais il lui avait tout appris. Depuis l'enfance, Océan avait souffert du manque d'affection de son père qui préférait son grand frère, sa boulangerie et la jolie Fleur. Nikolaj avait donné au pauvre gamin l'amour qui lui manquait. Et puis il y eut ce jour. Océan était parti chasser seul, sans Nikolaj, sans Meloë, seul avec son arbalète. Et il s'était fait prendre. Qui l'eut cru? Il était si rusé! Fleur était convaincue que c'était de la faute du chasseur. Pourquoi n'était il pas là? Pourquoi n'avait il pas sauvé son frère? Elle le détestait plus que tout. Pourtant, elle était trop gentille et a chaque fois elle se disait qu'elle y allait trop fort, que peut être il souffrait aussi de la disparition du jeune homme, et qu'il culpabilisait, mais Fleur se raisonnait et se disait qu'il n'avait pas le droit. Il lui avait pris son frère. 

Un matin, alors que la demoiselle était à la boulangerie en train de servir un client, elle le vit entrer. C'était rare qu'il vienne ici. Il avait plutôt l'habitude de se rendre chez les rivaux de Fleur, les Thread, et pourtant il était là. Nikolaj Weiss. Quand ce fut au tour de l'homme de choisir ce qu'il voulait, Fleur ne put retenir ses mots. « Désolée mais ici on sert pas les traîtres. » On sentait le dédain dans sa voix. Le dédain et la peine. Heureusement, ils étaient seuls dans la boulangerie, elle ne voulait pas que quelqu'un d'autre ne la voie s'énerver, ou pire encore, craquer et pleurer. Fleur pestait intérieurement et sentit la rage monter en elle. Elle sera les points et commença a trembler sous les effets sa colère grandissante envers le chasseur « Qu'est ce que tu fais là? » Elle avait dit ça méchamment et en avait confiance, de ce fait, elle baissa les yeux honteusement, haïssant son comportement. Elle était la seule chose qu'elle détestait plus que le district douze. 

Avant de franchir le seuil de la petite maison des Weiss, Nikolaj se retourne, et gratifie sa soeur Leonor d'un petit sourire. Ces démonstrations d'affection sont rares, mais signifient beaucoup, car le mineur souvent trop sombre n'agit presque jamais de manière calculée. La blonde de vingt-deux ans le sait, et se rapproche de lui, serrant son bras de sa paume douce. « Je ne vais que faire quelques courses, tu sais » lâche-t-il, presque amusé. L'absence de leur petit soeur, Mia, l'inquiète profondément, mais il ne laisse rien transparaître. S'il commence à y songer, il va bien trop vite perdre son sang-froid, comme toujours. Voyant un sourire s'étirer sur les lèvres de Leonor, Nikolaj se sent légèrement rassuré, et quitte la maison d'un pas déterminé. Elle pense qu'il se rend à la plaque, et elle a probablement raison. Trois jolis écureuils sont nichés dans sa besace, et il espère en tirer un bon prix. Il en a déjà laissé deux à Leonor, espérant qu'elle sache en faire quelque chose pour le dîner du soir. Décidément, ces temps-ci, la chance lui sourit. Depuis plus d'une semaine, il ne s'est pas passé un jour sans qu'il ne ramène au minimum un ou deux écureuils, et l'homme n'en est pas peu fier. Même en travaillant presque dix heures par jour à la mine, il parvient toujours à s'en échapper à temps pour aller faire un petit tour dans la forêt. Silencieusement, il espère que cette période durera. Les Weiss ont déjà connu bien des jours de famine, et il ne tient pas à les revivre. S'il y a bien une chose que Nikolaj ne tolère pas, c'est le fait d'échouer, et il hait sa propre faiblesse plus que tout au monde. Et pourtant, il en a connu, des échecs. Frémissant légèrement, le chasseur redouble d'énergie dans ses pas, et s'applique à ignorer toute pensée négative. Ce n'est pas le moment de se laisser aller.

Il finit par arriver plus rapidement que prévu dans l'une des rues commerçantes les plus fréquentées du district. Alors qu'il passe devant une boulangerie, l'odeur du pain chaud vient chatouiller ses narines. Séduit, Nikolaj sent sa détermination faiblir. Après tout, il ne s'arrêtera que quelques petites minutes, et sera retourné auprès de ses soeurs bien avant le crépuscule. Impulsivement, l'homme se détourne de sa route, et pousse la porte de la boutique. Il ne s'aperçoit que trop tard de son erreur, et darde des yeux sombres sur le comptoir. Merde, la boulangerie Rosati. Dans sa précipitation, il n'a pas fait attention, et le simple fait de penser à sa propre connerie lui donne envie de se donner des baffes. Foutues pulsions. Cela lui apprendra peut-être à réfléchir avant d'agir. À vingt-sept ans, il serait temps. N'étant pas du genre à fuir, le mineur se prépare désormais à affronter les réactions de Fleur Rosati, la demoiselle qui sert les clients aujourd'hui. Malheureusement, il la connait bien, et n'a sincèrement aucune envie de se retrouver face à elle. Elle le tient responsable de la mort de son frère Océan, et le simple fait de sentir son regard méprisant se poser sur lui le pousse presque à sortir de ses gonds. Serrant les poings, Nikolaj sort une petite bourse de cuir de sa besace, et s'applique à la pétrir de ses longs doigts. Surtout, ne pas perdre son sang-froid. Puis, arrive son tour, et les mots froids qui vont avec. Les traîtres. Instinctivement, le mineur serre les dents. En d'autres circonstances, il aurait déjà pété les plombs, et son interlocuteur se serait pris une droite. Mais ici, maintenant, il se doit de rester impassible. D'abord, parce que c'est une femme qui se trouve en face de lui. Nikolaj les respecte, et a conscience que faire usage de la force serait inéquitable. Puis, parce qu'au fond, il doute qu'elle mérite de subir une telle réaction. Elle est blessée, en colère, et il la comprend. Lui aussi est furieux, lui aussi s'en veut de ne pas avoir été présent pour protéger Océan. Leonor, qui est bien plus rationnelle que lui, lui a déjà prouvé par a+b qu'il n'y est pour rien. Il n'a pas poussé le gamin à se jeter dans les bras des pacificateurs, et n'était même pas la pour le protéger. Simplement, lui n'est pas rationnel, et ne peut s'empêcher de se sentir coupable. Merde, il se sent coupable, car il avait de l'affection pour ce gamin, et aurait dû être présent pour éviter ça. En proie à des émotions contradictoires, toutefois toujours dominées par sa fameuse colère, Nikolaj tâche de respirer lentement et calmement. Il ne veut pas perdre la face devant cette lâche attaque. Pas maintenant. « C'est bien dommage, parce que les traîtres aussi ont besoin de se nourrir », répond-il sèchement. Un instant, il fronce les sourcils, puis hausse nonchalamment les épaules. Heureusement, dans ses rares moments de lucidité, il sait presque bien jouer la comédie, et cacher cette intense colère qui le ronge. « Qu'est-ce-que je fais la ? », il répète, sentant cette fois-ci que son calme le quitterait bien trop vite. Sur le coup, la question lui parait absurde, et ses yeux s'assombrissent. Une fois encore, il resserre violemment ses poings sur la bourse. Il ne sait réellement pas ce qu'il fout la, et est à deux doigts de quitter la boulangerie. Non, il ne fuit pas. Nikolaj ne fuit jamais, et est bien trop téméraire pour reculer devant une occasion d'extérioriser sa foutue colère. Simplement, il sent que pour le bien de Fleur, mais également pour le sien, il n'a aucun intérêt à rester. Silencieusement, il espère qu'elle cessera de le provoquer. Il est souvent bien trop facile de le faire sortir de ses gonds. « Je viens acheter de quoi manger, comme tout le monde ». Sa voix est sèche et forte, bien qu'éraillée par la poussière trop longtemps avalée dans la mine. « Si tu ne veux pas me servir, j'irai voir ailleurs. C'est aussi simple que ça ». Dans sa bouche, cela peut sonner comme une menace, mais il n'en est rien. L'homme tente simplement de se maîtriser, et cette phrase est bien la chose la plus politiquement correcte qu'il ait trouvé à dire.